Des rues de Ouidah aux pelouses de Rennes : entretien avec Lauren Kpehounton Adjovi

Article : Des rues de Ouidah aux pelouses de Rennes : entretien avec Lauren Kpehounton Adjovi
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19 octobre 2021

Des rues de Ouidah aux pelouses de Rennes : entretien avec Lauren Kpehounton Adjovi

Vous avez sans doute déjà entendu parler du foot féminin au Bénin. Mais peut-être pas encore de Lauren Adjovi. Ce n’est pas encore grave. D’ailleurs, personne ne vous en voudra pour ça. Aujourd’hui, je vous emmène à la découverte de cette jeune attaquante béninoise qui évolue désormais en deuxième division avec l’Association sportive des postes, télégraphes et téléphones (ASPTT) à Rennes, en France. Elle est originaire de Ouidah, une ville du Bénin peuplée d’environ 162 034 habitants et située à 42 kilomètres à l’ouest de Cotonou.

Bonjour Lauren. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs-trices ? 

Je m’appelle Aude Lauren Kpehounton Adjovi. Je suis âgée de 21 ans et titulaire d’une licence en Administration Générale et Territoriale obtenue en 2019 à l’École Nationale d’Administration (ENA) du Bénin. Actuellement, je poursuis mes études en Gestion des Ressources Humaines ici en France plus précisément à l’université Rennes 2.

Photo de Lauren sur un terrain de foot
Crédit photo : Blaise Aymard Codjia

Comment avez-vous découvert votre passion pour le foot ?

Je préfère raconter une courte anecdote pour répondre à cette question. En fait, je viens d’une famille de cinq enfants dont deux filles et trois garçons et je suis la benjamine. À un certain moment, les aînés sont partis de la maison afin de poursuivre leurs études. Du coup, il ne restait que mon jeune frère Steven et moi à la maison. J’ai vraiment vécu avec lui. Il est très protecteur et d’ailleurs je l’aime beaucoup. Il m’associait à presque tout ce qu’il faisait. Qu’il s’agisse des sorties avec ses amis-es, des jeux, j’étais toujours là avec lui. Et donc, quand ils allaient aussi sur le terrain, il m’amenait et puis moi j’étais leur gardienne. Je gardais toujours les buts. Mais moi je bourdais tout le temps parce que dans les cages, je ne touchais pas trop le ballon et je n’aimais pas cela. À un moment donné, mon frère a convenu avec ses amis que je monte plus haut sur le terrain pour aller au contact du ballon et attaquer. De là, j’ai commencé par m’y plaire et j’étais très contente de jouer devant. Ce n’était plus comme quand je restais dans les cages. Depuis ce temps-là, j’ai pris goût au football et jamais je n’ai cessé de jouer. Je dois dire que c’est grâce à mon frère Steven que j’ai découvert ma passion pour le football. Il a été celui qui m’a initié à ce sport.

Comment ont réagi les parents à vos débuts dans le foot ?

Lauren, foot addict
Crédit photo : Blaise Aymard Codjia

Pour la petite histoire qui continue, dans le temps, je ne jouais qu’avec des garçons. Même en l’absence de mon frère, j’ai continué à jouer avec les copains du quartier à Ouidah et jamais avec les filles. Et dire que dans le temps, j’étais la seule fille à participer à un tournoi de foot avec des garçons. C’était pendant une période de vacance. Ce tournoi m’a en quelque sorte révélé à Ouidah. Des personnes sont par la suite venues demander à mon père de me permettre de rejoindre un club de la ville. Mon père est un homme rigoureux. Déjà, dans le temps, j’avais des problèmes de santé. Je tombais souvent malade. Et donc, il ne voulait pas que je fasse du foot. Mais moi, têtue que j’étais, je n’ai pas arrêté de jouer. Par contre, j’avais le soutien de ma mère. Elle n’était pas contre le fait que je joue. À vrai dire, mon père n’était pas non plus tellement contre le fait que je pratique le football : il s’inquiétait juste pour ma santé. Aujourd’hui, je n’ai plus ces soucis de santé et ma famille est pleinement de mon côté. À l’époque, certains proches de mes parents voyaient mal le fait que je joue surtout parmi les hommes. Malgré cela, j’ai toujours eu le soutien de mes géniteurs. Mon frère est mon premier supporter. Malheureusement ou heureusement, je n’ai pas rejoint le club auquel on avait proposé à mon père que je joue. C’était les Amazones de Ouidah. J’ai donc continué à faire du foot de rue, à jouer avec les copains. Aujourd’hui en France, il s’gait de ma première expérience dans un club, avec un coach, et des filles.

Dites-nous un peu plus à propos de votre club de foot

L’ASPTT est un ensemble d’associations sportives omnisports françaises créée en 1898, présent dans presque toutes les villes de la France, comme c’est le cas de Rennes en région Bretagne. Mon club  << L’Asptt Rennes football féminin >> est un composant de ce grand ensemble. Actuellement, nous évoluons en deuxième division. 

La première mission de la fédération Sportive des ASPTT est d’assurer le développement et la pérennité des clubs omnisports qui sont ouverts à tous, à travers une offre de services dédiés.  L’ASPTT rassemble aujourd’hui 209 clubs, 1800 sections sportives qui proposent 185 disciplines à 200 000 licenciés. En 2019, les féminines de l’ASPTT Rennes Senior A ont remporté la coupe de Bretagne et ont été sacrées championnes. Un exploit pour ces joueuses qui, en l’espace de 4 ans, sont passées du niveau district au niveau régional.

Qu’est-ce que ça fait de vivre et de jouer loin de chez soi ?

Lauren en plein match de foot
Crédit photo : Blaise Aymard Codjia

Ce n’est vraiment pas facile pour moi de vivre loin de mes parents. C’est ma toute première expérience de ce genre. C’était très compliqué au début. Mais je commence par m’y faire. C’est vrai qu’il y a un manque, mais je m’y habitue. Je savais que tôt ou tard, il allait falloir que je quitte mes parents. J’ai finalement pris mon envol, ce que j’ai trouvé trop tôt puisque cela m’a beaucoup affectée au début. Raison pour laquelle que, lorsque je suis arrivée ici en France, l’une des premières choses que j’ai cherché a été un club. Pour moi, le club serait ma nouvelle famille. Au moins avec ça, je trouverai des gens avec qui faire ce que j’aime le plus. Et depuis que j’ai intégré le club de l’ASPTT Rennes, cela me procure un bien-être. Je me sens à l’aise quand je suis avec l’équipe et sur le rectangle. Je revis en quelque sorte et cela m’aide beaucoup dans mon quotidien. Jouer loin de chez moi, c’est comme une nouvelle expérience et cela transforme. Au pays, je faisais essentiellement du foot de rue. On jouait dans les coins de rue, sur du sable. Mais ici, je joue au football autrement. Il y a des pelouses qui rendent beaucoup plus pratiques et plaisant le football. Tout cela fait du bien.

Comment se passe votre intégration au sein de l’équipe de Foot ?

Crédit Photo : AMISOM via Iwaria

Je suis de nature très timide. J’ai eu la chance de me retrouver avec des gens très sympas. Les filles sont très gentilles , notre coach également.. Pour mon premier jour, il y avait de l’ambiance, chacune s’est présentée et tout… C’était super bien.. Mais ma timidité m’empêchait d’aller facilement au contact des autres. Notre coach de foot me mettait en confiance. Une fois, il m’a dit “ les filles ne mordent pas, va leur parler, fais comme chez toi”. En gros, j’ai été bien accueilli et je me plais bien dans l’équipe. Les filles ont de l’humour. Il n’y a pas que le football qui nous rassemble. Il y a aussi les moments de détente, les petites fêtes qu’on organise. Je me sens comme en famille.

Quelles sont les figures du football féminin qui vous inspirent et avec qui vous aimeriez jouer tôt ou tard ?

Dans mon top 3 des figures du football féminin qui m’inspirent, on retrouve en premier Marta du Brésil. Elle est une super joueuse. Je suis très fan d’elle. Au Brésil, elle est d’ailleurs comparée au roi Pelé. Ensuite, il y a Amandine Henry qui évolue à l’Olympique Lyonnais et Wendie Renard.

Il me semble logique que votre grand rêve soit de signer pro. Quand cela arrivera, dans quel(s) club(s) souhaiteriez-vous évoluer ?

La question ne se pose pas. L’Olympique Lyonnais, c’est la base (rires). J’ai toujours rêvé d’aller à l’OL. Je respire l’OL. Pour le reste, on verra avec le temps.

Les Bleues ou la sélection nationale?

Je suis Béninoise et je suis fière de l’être. Ce serait donc un grand plaisir de défendre les couleurs de mon pays. Si un jour, le sélectionneur du Bénin m’appelle pour rejoindre l’équipe nationale, je répondrai. Après tout, le but c’est de viser plus haut et je travaille pour me démarquer.

Un mot de fin ?

Dans le contexte béninois où certains parents continuent d’empêcher leurs filles de jouer au foot, je voudrais simplement leur demander de ne pas entraver l’éclosion du potentiel sportif de leurs enfants. Aux filles qui jouent déjà, je les encourage également et je leur souhaite beaucoup de courage, de discipline et de constance dans le travail. Par ailleurs, j’encourage les autorités du Bénin à promouvoir davantage le football féminin.

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Commentaires

Bill AGBODOSSINDJI
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Toutes mes félicitations présidente.
Croyance et détermination. Je suis ému. Timide comme moi, je me rappelle combien je dois la déranger à l'ENA avant qu'elle ne parle☺️. Tu es un bon amie. Que Dieu veille sur toi et exauce les prières de chacun.

Jean-Claude HOUESSOU
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Lionel ACCROMBESSI
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Je suis vraiment fière de toi, tu fais la fierté du pays. Je ne connaissais pas ce talent de footballeuse. En tout cas je te souhaite beaucoup de succès dans le futur parce-que ceci n'est que le début ?.

Jean-Claude HOUESSOU
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