Crise au Sahel : quand le bénéfice de l’insécurité gagne les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest

Article : Crise au Sahel : quand le bénéfice de l’insécurité gagne les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest
Crédit: Aimee via IWARIA
16 février 2022

Crise au Sahel : quand le bénéfice de l’insécurité gagne les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest

La menace djihadiste sahélienne étend progressivement ses tentacules vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Alors que la dégradation de la crise préfigurait d’une extension de la menace sécuritaire sur la frontière sud de la région, aujourd’hui, la dynamique de contagion des zones côtières apparaît on ne peut plus en marche. Les incidents sécuritaires dans cette région et tout récemment au Nord Bénin témoignent non seulement de la proximité de la menace, mais surtout de son effectivité sur la plupart des parties nord des pays de la côte ouest.

Une quête de nouvelles sphères d’influence

La plupart des experts des questions sécuritaires au Sahel ont souligné l’intérêt, qui n’est plus nouveau, des groupes djihadistes sahéliens pour les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Selon leurs analyses, la progression vers le sud des mouvements djihadistes du nord du Mali après la rébellion du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en 2012 aurait suscité cet intérêt. Plus loin, l’attentat de Grand-Bassam du 16 mars 2016, « planifié et lancé depuis le territoire malien » est présenté comme une plausible manifestation de cette volonté des groupes djihadistes d’étendre leur influence au-delà du Sahel. Les récents incidents sécuritaires recensés dans les zones transfrontalières confirment cette visée expansionniste des groupes extrémistes sahéliens dont la dynamique de progression vers la côte s’intensifie. Des pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, et même le Togo figurent parmi les États sous une réelle menace djihadiste. 

En appréciant la récurrence des offensives des groupes extrémistes sur la côte ouest-africaine, cette fois dans la zone nord du Bénin, on voit clairement que ce pays représente la nouvelle zone stratégique pour la continuité du projet d’expansion des djihadistes. Après la Côte d’Ivoire, le Bénin est à ce jour  « le second pays le plus touché par la présence et la circulation des groupes djihadistes appartenant au JNIM et à l’EIGS».  Attendu que le JNIM renvoie au Jama’at Nasr al islam Wal Muslimin et l’EIGS qui désigne l’État islamique au Grand Sahara. 

Allant des poses d’engin explosif improvisé, aux ciblages de forces armées et à l’enlèvement, un total de cinq attaques, non revendiquées, a été perpétré sur le territoire du Bénin. Alors que la panique gagne les esprits, le gouvernement béninois invite sa population à vaquer normalement à leurs occupations. Dans les faits, la situation est telle qu’il semble impossible de ne point s’inquiéter. Ces groupes organisés ont presque toujours les moyens de leurs ambitions et ce n’est pas leur accorder d’égard que de les prendre au sérieux. Rien qu’à voir la situation sécuritaire du Sahel, on se rend compte qu’ils ne sont pas des enfants chœurs.

Menaces djihadistes sur les pays côtiers, conséquence de l’échec des politiques sécuritaires au Sahel

Il existe une forte corrélation entre la dégradation de la situation sécuritaire dans le Sahel et la menace djihadiste qui plane sur la partie nord des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Occulter ce rapport serait préjudiciable à l’analyse objective des faits et des enjeux en présence.

En prenant un pays comme le Burkina Faso, les groupes djihadistes ont beaucoup progressé sur son territoire ces dernières années. Des territoires entiers sont passés sous leur contrôle. Ces groupes y construisent des arrières-bases qui leur permettent de se loger, de s’approvisionner, de planifier, lancer des attaques et aussi de se replier au besoin. La plupart des attaques djihadistes qui ont frappé la Côte d’Ivoire en 2016 « sont perpétrées depuis le territoire burkinabé », précise Mathieu Pellerin, dans une note publiée en début de février par l’Institut français de relations internationales (IFRI). Par ailleurs, la partie Est du Burkina Faso avec ses régions offrent aux groupes djihadistes, surtout au Jama’at Nasr al islam Wal Muslimin (JNIM) des possibilités de s’étendre sur les pays côtiers.

Crédit : AMISON

Mais, il n’y a pas que le pays des Hommes intègres qui offre des garanties d’« excroissance territoriale » aux groupes djihadistes. Ailleurs au Mali, un pays enclavé dans le Sahel, les régions de Sikasso et du Kayes offrent également de telles possibilités. Mathieu Pellerin présente ses régions du Burkina Faso et du Mali comme étant « des bases arrière permettant aux groupes djihadistes… de s’étendre au Bénin, en Côte d’Ivoire, et dans une moindre mesure au Togo, au Ghana, au Sénégal et en Guinée ». Cela témoigne du fort potentiel de contagion de la crise sécuritaire sahélienne dont les répercussions s’étendent au-delà des frontières de la région.

Au Niger, l’assise territoriale des groupes JNIM et EIGS est plus ou moins considérable. Certaines régions du pays touchées par la dynamique djihadiste offrent des garanties de débordement de la crise sécuritaire sur les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. La Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) s’est révélée le groupe le plus influent dans les régions de Tahoua, Dosso et Tillabéri. Le 31 juillet 2021, 15 militaires nigériens ont trouvé la mort dans l’attaque perpétrée par le groupe JNIM dans le département de Torodi dans la région de Tillabéri. Mathieu Pellerin présente Torodi comme étant un point essentiel permettant aux djihadistes d’atteindre la zone du Parc W et la frontière béninoise, « second fief de JNIM au Sahel après le Delta intérieur du Niger». Les récentes incursions djihadistes dans cet espace transfrontalier accentuent les risques de propagation djihadiste sur les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. 

Les cellules djihadistes, bras armés du JNIM et des EIGS

Des faits irréfutables démontrent que la plupart des pays côtiers d’Afrique de l’Ouest abritent déjà des cellules djihadistes. En effet, les actes d’injustice, d’inégalités et de violences observées généralement dans les parties nord de la côte ouest-africaine et dont les politiques sont en partie responsables, créent des situations d’hostilités qui fragilisent les communautés frontalières et/ou transfrontalières. Les groupes extrémistes, doués dans l’art d’attiser les conflits communautaires, exploitent ces frustrations des membres desdites communautés, en particulier, celles des groupes lésés, persécutés en les recrutant pour défendre l’idéologie djihadiste. Ils arrivent à s’attirer les sympathies de leurs futurs adeptes à la faveur des exactions commises par les forces de défense et de sécurité. C’est ainsi que se crée à l’intérieur des États des cellules djihadistes composées de recrues locales endoctrinées et promptes à se « djihadiser ».  

« Pour les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, où la menace reste encore contenue en intensité et limitée géographiquement, il est encore temps de prévenir une dégradation de la situation sécuritaire » , souligne Mathieu Pellerin. Les États de la côte ouest-africaine ont tout intérêt à repenser les stratégies de sécurisation de leurs frontières. Une approche multilatérale serait tout aussi efficace pour relever le défi sécuritaire dans cette région de l’Afrique.

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